Benjamin Ottoz

Artiste - Bruxelles

Puisant dans cette insondable légèreté et fragilité du papier, Benjamin Ottoz explore les possibilités de ce support depuis plusieurs années. Sa démarche consiste à éprouver le papier, à le froisser, à en expérimenter sa plasticité afin d’y élaborer de nouvelles formes.

Oscillant entre peinture, sculpture et photographie, ce processus tient d’une approche philosophique de faire œuvre le support lui-même. La main de l’artiste tend à révéler le potentiel plastique de l’œuvre avec cette part importante de hasard dans la démarche. Le résultat est le fruit d’une somme de frictions, de pressions, de mise en peinture et de constat. Les manipulations de l’artiste laissent place à l’observation des plis, des ombres, des reflets de la lumière. Petit à petit, la charge poétique de ce processus se dévoile par la contemplation et le vagabondage de l’esprit…

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Sculpture, photographie, installation, peinture, commissariat… Les formes d’expression que tu emploies depuis 10 ans font preuve d’une large diversité. Comment décrirais-tu ta démarche depuis une dizaine d’années ?

En partant de mes études aux Beaux-Arts ça va faire 15 ans que j’ai entrepris mes recherches. Au début, il y eu une période pendant laquelle je me cherchais avec la réalisation d’installations, comprenant des photos, de la peinture ou des volumes, j’ai exploré beaucoup de choses, j’ai eu le temps de me perdre et de me retrouver de nombreuses fois.

Après mes études j’ai travaillé sous forme de projet, hors de l’atelier pour des résidences ou des institutions. Il y a ensuite eu une période où j’avais moins de moyens et moins de projets, un moment où j’ai retrouvé l’atelier et des matériaux simples et abordables comme le plâtre ou le papier. C’est à ce moment qu’un accident dans l’atelier a fait émerger la série que j’ai finis par nommer Serendipity.  Je travaillais des matériaux modestes dont un papier chiffonné qui trainait dans un coin et sur lequel de la peinture pulvérisée s’est déposé accidentellement. Je l’ai manipulé, mis au mur puis retravaillé et ça a été une sorte d’apparition. J’ai lâché tout le reste pour travailler cet évènement et ce travail sur papier est devenu ma préoccupation principale.

Pourquoi cet accident est-il devenu une révélation puis le cœur de tes préoccupations ?

Ce qui est intéressant, c’est que ça croise les trois domaines que j’avais exploré avant. Une part de sculpture car les papiers sont froissés, plié, gondolé… qui sont des modalités de mise en volume d’un plan. Ensuite, avec la peinture il y a une prise d’empreinte, la pulvérisation via un pistolet implique une focal, un angle de projection, le flux ou la quantité de couleur impliquent des questions de dynamique et de contraste, autant de notions qui évoque les procédés photographiques. Pour finir c’est de la peinture bien entendu, même si part le rendu ça peut fortement faire penser à une photographie. Cet entre-deux m’intéresse, cela produit un trouble dans la perception, un trouble rétinien et une interrogation quant au processus de réalisation. Cet « entre » est quelque part l’endroit où je me positionne, à la lisière…

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Découvrez ses oeuvres

Avenueduroi-benjaminottoz-Ninfa Fluida 20PG1.1-2 _ Peinture Acrylique, papier Arches 185gm2, 115x180cm, 2020 (2)
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Le support de l’œuvre, sa texture, sa plasticité semblent au cœur de ta démarche artistique qui ressemble, par ailleurs, à un processus de recherche. Peux-tu en dire davantage ?

Avec Serendipity, le support est devenu central. Littéralement le papier est le sujet et le vecteur de ma peinture. Il y a une forme d’immanence, c’est-à-dire que la chose est comprise dans la chose elle-même. L’œuvre se trouve là, dans son support ; je ne fais que révéler.

En partie je travaille dans l’inconnu il y a une part d’aveugle dans mes processus et c’est très stimulant de ne pas savoir, de ne pas avoir un projet, une image à restituer mais d’être à l’écoute de ce qui advient. Et je suis le premier spectateur de ce que je cherche, je suis aux aguets, attentif à ce qui surgit. Le papier nous montre une image de lui-même, un état antérieur de sa propre matière. Quelque part, il est l’acteur et la scène, le signifiant et le signifié ; il ne sert pas un projet, ne représente pas un ailleurs, il est une présence en puissance. Il présente un état antérieur de sa propre matière, à cet égard mes tableaux sont comme des spectres. Mes derniers travaux ou je peins directement sur les murs ou des pierres de la série Rupestre procède de la même démarche.

Quelle place l’histoire de l’art tient dans ta démarche et ta réflexion ?

Avec ce principe d’immanence, je dirais que la philosophie tient une place plus essentielle dans mon cheminement. Je me sers de l’histoire de l’art pour regarder mon travail après coup et non dans mon processus. Je peins davantage de façon instinctive.

C’est à postériori que je me mets à regarder et confronter mes œuvres à la question de l’histoire de l’art. Quelque part c’est ce que je fais qui me dit ce que je cherche pour paraphraser Pierre Soulage. La perception de l’œuvre par les autres est à cet égard très enrichissante. Le public renvoie généralement mes tableaux à des fragments de référents existants, ou des fragments de peinture emprunté à l’histoire de l’art : drapé baroque, les plis d’un lit, des paysages de la renaissance, les remous de l’eau, ou encore des vues satellites etc… Autant de ressemblances qui sont des pareidolies, des évocations qui nous invitent à nous perdre dans les formes. C’est la dimension poétique de cette peinture ; néanmoins, ce qui reste essentiel et premier pour moi c’est la notion  d’immanence, à savoir cette matière papier qui se boucle sur elle-même.  

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Prévois-tu une approche spécifique pour Avenue du Roi ?

À la suite de l’invitation d’Elie et Thomas de proposer un travail en lien avec leur projet associant habitat et art, il y a eu cette idée commune d’une pièce in situ: j’ai pris une empreinte des moulures de l’appartement avec du papier. Encore une fois, la part de hasard était grande car je ne pensais pas que le résultat me conviendrait et pourtant ça donne quelque chose d’intriguant. Il s’agit donc d’un travail hybride, à la fois in situ et en atelier.

Quelles autres œuvres proposes-tu ?

Il y a toute une série de nouvelles choses. J’ai pris dans mon travail 5 ou 6 pistes différentes et j’ai associé ce qui convenait. Je continue à travailler avec du papier froissé sur lequel je peins mais que je ne le remets pas à plat. Je souhaite garder le volume ce qui crée un bas-relief. Ce travail joue énormément avec la lumière qui impacte la couleur et la perception de l’œuvre. C’est pensé pour le lieu et le changement de lumière par rapport aux heures de la journée. Le projet Avenue du Roi est l’occasion pour moi d’expérimenter sur mes protocoles de création.

As-tu eu des échanges avec les designers du studio La double clique ?

Il s’agit d’une association entièrement pensée par Thomas. Les designers La double Clique travaillent aussi sur le principe de moulages et d’empreinte. C’est une des notions qui nous réunit sans doute. Cette variation entre la 2D et la 3D pourrait selon moi représenter le trait d’union entre nos recherches.

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Photographe : Miles Fischler & autres

Texte : Thibaut Wauthion