Dorothée Louise Recker

Artiste - Marseille

Peindre le ciel. Ses nuances de bleu, de blanc, de gris et de rouge qui s’unissent indiciblement en un tout homogène. L’immatériel s’étend sur les toiles de Dorothée Louise Recker. Le centre de son propos ? La lumière, les couleurs et les souvenirs. Les nombreuses couches de peintures étalées à la brosse se confondent en de subtils dégradés de couleurs, souvent solaires, célestes. Les détails disparaissent sous son geste qui cherche à ne capte que l’essentiel, traduire ses émotions face à la nature et aux compositions que le ciel lui offre.

L’enfance de Dorothée Louise Recker passée en bord de mer Méditerranée forge sa vision du monde, sensible aux variations colorées des paysages qui l’entourent. Au travail de la couleur se joint celui de la matière. Le sable, qui évoque aussi l’inspiration azuréenne, balnéaire de l’artiste, décline ses recherches autour de la matérialité de la couleur.

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Au premier regard, on aurait envie de coller l’étiquette « art abstrait » sur tes œuvres et pourtant les couleurs nous sont familières tout comme leur agencement, leur association. Les toiles évoquent rapidement un paysage apaisant de coucher de soleil lors d’une soirée chaude d’été. C’est là une source d’inspiration ?

Oui, c’en est une. Le ciel, tout simplement, pas seulement les couchers de soleil. Je viens du Sud de la France. La maison de mes parents est située dans les plantations de mimosa de mon grand-père. J’ai grandi sur ces collines, j’ai un lien vraiment très fort avec cette région. La Norvège, où je suis née, a aussi influencé mon travail par un certain imaginaire, teinté de ciels purs, d’aurores boréales.

Mais le Sud de la France, l’ambiance maritime, les collines, la plage, les étés qui s’enfuient… Je parle avant tout de ça, j’ai envie de restituer cette atmosphère, cette vibration qui est au cœur de moi-même.

Les paysages, le territoire, c’est le point de départ, l’impulsion personnelle. La peinture, ensuite, s’émancipe du sujet. La recherche autour de la matérialité de la couleur, comme la quête d’une immatérialité, sont le fil rouge de mon travail.

Comment en es-tu venue à développer ce style ? Y a-t-il eu plusieurs étapes dans l’élaboration de ce travail ?

Je viens initialement de la figuration. Je n’ai présenté que des toiles figuratives lors de mon diplôme aux Beaux-Arts de Paris. Dans mes tableaux figuratifs, très pop, très colorés, il y avait déjà des dégradés de couleur, c’était un élément de mon vocabulaire.  Progressivement, je me suis écartée de la figuration car j’arrivais à des compositions qui me dépassaient. J’ai eu envie de faire le vide. La notion de disparition est centrale dans mon travail, j’ai fini par tout faire disparaitre pour me concentrer sur l’essentiel. J’ai une fascination pour la couleur et la lumière, qui ont pour moi une dimension profondément magique.

Je tente de retransmettre les sensations et les émotions qu’on peut avoir face à une lumière particulière, un ciel matinal ou crépusculaire, un coucher de soleil, un entre chien et loup… C’est là une chose très simple, universelle. Après, le tableau obéit toujours à ses propres lois. C’est une fenêtre vers un ailleurs, non une narration.

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Découvrez ses oeuvres

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Tu sembles avoir développé ta technique par expérimentation. Peux-tu expliquer la technique que tu utilises ?

La base de mon travail repose sur le dégradé de couleur. C’est un travail à la peinture à l’huile qui est exécuté à la brosse. Il opère par disparition, par un geste que je répète : plus je répète le geste, plus j’en efface la trace sur le tableau – sachant que j’ai 24 heures pour faire une couche car le lendemain, c’est déjà trop sec pour y revenir. Il y a plusieurs couches sur le tableau, les dernières étant souvent apposées en transparence. Sur les grands formats, c’est toujours un défi, le travail revêt une dimension très physique, presque performative. Quand je commence, si le tableau est grand, je ne sais pas si je vais y arriver. Je cherche vraiment à exprimer cette dimension humaine face au tableau. Cette notion de toucher, de main. Je tente d’effacer toute imperfection, toute trace de mon passage, mais je n’y parviens jamais totalement. J’essaye de parler de quelque chose d’immatériel et d’évanescent avec des outils humains, terriens, et il y a toujours une limite. Je parle aussi, et sans doute avant tout, de cette limite. Je veux atteindre l’immatériel – mais ma main ne peut imiter le ciel.

Tu effectues aussi toute une série de déclinaisons techniques à partir du dégradé. Peux-tu en parler ?

Le point de départ, c’est en effet le dégradé, mais j’ai depuis diversifié mes recherches. Le sable offre un contrepoint à la planéité et aux dégradés atmosphériques ; c’est un matériau insaisissable, qui fuit entre les doigts tout en renvoyant à la terre, à la matière, au palpable.

Et puis c’est aussi le Sud, le clin d’œil balnéaire. Le travail du grain en couches successives me permet d’obtenir une profondeur, un aspect trouble et insondable de la surface. Il y a aussi une disparition assez surprenante des couleurs : selon le type de sable, qui peut être brillant, ou teinté, blanc ou plus sombre, les couleurs peintes sont modifiées, il agit comme un filtre. Le dernier sablage crée toujours une surprise. Parfois, cela peut rater…

J’ai aussi par le passé développé un travail sur toile libre, sans châssis. Un jour, une de ces toiles est tombée alors que le dégradé était achevé. Un pli a rayé la surface, tout était à recommencer. De dépit, je l’ai froissée et piétinée. J’ai alors remarqué que la couleur s’écaillait, que ça changeait la texture et la trame de la peinture. J’ai ainsi démarré une série de toiles froissées, qui sont, de fait, nées d’un accident.

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As-tu abordé de manière spécifique le projet Avenue du Roi, qui prend place dans un appartement ?

J’ai travaillé sur deux axes différents. Elie & Thomas avaient envie d’avoir des tableaux sablés. J’ai proposé une série de quatre formats moyens, dans l’idée d’une même fenêtre sur le ciel à différentes heures de la journée. Je cherchais vraiment cette référence céleste, d’une fenêtre ouverte sur le ciel.Ensuite, Thomas souhaitait quelque chose d’un peu inédit. Je retravaillais justement à ce moment-là sur les toiles libres. Mais ce qui est difficile dans un contexte d’exposition et à fortiori de galerie, c’est l’accrochage, la toile libre ce n’est pas évident à accrocher, ce doit être vraiment bien pensé.

Cette année, je travaillais dans un atelier collectif avec notamment un aciériste qui a conçu un système tout simple de barres d’acier pour fixer la toile en haut et la lester par le bas. Je l’ai utilisé avec des toiles sablées, pour avoir une matière lourde, pesante, mais sans châssis, ce qui donne aussi une légèreté à l’œuvre. Il y a donc une impression de lévitation en tension avec une dimension très terrestre, un tombé, une pesanteur visuelle.

Photographe : Louise Skadhauge

Texte : Thibaut Wauthion