Emmanuelle Roule

Studio de création - Marseille

Oscillant entre démarche plastique et dimension politique, le travail d’Emmanuelle Roule se développe autour et à partir de la terre. Doté d’une histoire séculaire à travers son emploi pour l’habitat ou encore la céramique, ce matériau dispose également de multiples propriétés inexploitées. Ce postulat d’Emmanuelle Roule jalonne l’ensemble de sa production teintée d’expérimentation et de croisement multidisciplinaire.

Les recherches d’Emmanuelle Roule, artiste designer, portent sur les potentialités de la terre en tant que matériau apte à créer des formes et à bâtir. Une sélection rigoureuse de la matière parmi la large diversité de terres aux diverses couleurs et chacune aux propriétés différentes, représente le point de départ de ses créations. Mise en forme, variations d’émaillage, cuisson à diverses températures, essai d’associations inattendues avec de la cire d’abeille par exemple, viennent ensuite rythmés son travail.

Cette expérimentation visuelle et formelle fait écho à la démarche politique d’Emmanuelle Roule. S’inscrivant dans le contexte actuel, sa production génère une réponse aux défis environnementaux en liant ressources, savoir-faire et décloisonnement pour élaborer des mécanismes plus vertueux de création.

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En jetant un coup d’œil à tes différentes réalisations, j’ai pu remarquer un travail foisonnant oscillant entre scénographie, graphisme, objets artistiques et engagement pour l’environnement via le travail de la Banque du miel. Peux-tu résumer en quelques mots qui est Emmanuelle Roule ? Qu’est-ce qui définit ton travail ?

C’est une question quelque peu délicate car j’ai au fil du temps une pratique qui s’est construite autour de plusieurs disciplines. J’ai une formation de graphiste et direction artistique. Tout juste diplômée, j’ai eu la chance d’avoir rapidement des commandes qui m’ont amenée à créer mon studio au croisement de l’image et de l’espace. Mon travail lie autant le champ de la création contemporaine que du design. Je suis artiste designer si on veut résumer. La dimension pluridisciplinaire est importante à mes yeux, tout comme le fait de croiser les disciplines. J’ai un travail personnel mais qui est toujours accompagné d’un travail collectif qui prend diverses formes. J’ai, par ailleurs, un véritable intérêt pour le bâti, pour la matérialisation d’un objet. Je travaille beaucoup avec le matériau terre.

Dans ta production personnelle, tu travailles essentiellement la terre, en tant que matériau de recherche et d’expérimentation. Peux-tu en dire plus à propos de cette démarche ?

Le matériau terre m’intéresse beaucoup, surtout pour sa dimension environnementale. Sa plasticité est intéressante, ainsi que les diversités de typologies et de registres d’intervention qu’il offre. Ses propriétés premières sont intéressantes dans les questionnements environnementaux et la manière de penser les usages et les modalités de vie à venir. Ce qui est intéressant de voir c’est que la terre ouvre une voie positive et un champ des possibles assez infini.

 

C’est un matériau qu’on connait, qui est commun, qu’on a un peu relégué maintenant dans le champ de quelque chose d’archaïque, alors que je pense que c’est tout l’inverse. Son extraction est peu onéreuse, et peu émettrice de CO2. Les diversités de sol offrent une grande diversité de terre, d’argile avec leurs propriétés propres et une très large utilisation.  Si on extrait la terre, les premières dizaines de centimètres sont celles destinées à l’agriculture, la terre arable. Ensuite se trouve le matériau qu’on peut utiliser pour bâtir des objets, des architectures… Il y a aussi ce jeu d’homonymie qui symbolise ce système terre, l’une sans majuscule, notre sol, la seconde, dotée d’une majuscule, notre planète.

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Découvrez ses objets

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Dans ta démarche, on retrouve donc un engagement politique dans le sens littéral du terme. Tu ancres ton travail dans la cité et son contexte afin de produire un impact.

Il y a une dimension engagée. C’est presque d’abord un acte citoyen, puis une seconde qui relève de la responsabilité liée au champ de la création et du fait d’éditer des objets. C’est une posture forte mais humble, car je m’inscris dans un courant. Les pratiques autour de la terre sont nombreuses et héritée du Néolithique, ce qui ouvre une échelle de temps sur 10.000 ans. Je souhaite juste contribuer dans cette croisade et cette croisée des pratiques à une valorisation d’une filière du matériau terre qui puisse à terme concerner le plus grand nombre, ainsi que nos usages et habitats de demain. L’idée est de s’inscrire dans une dimension séculaire. Avec la volonté sous-jacente de redonner une autre image de ce matériau, du moins une dimension plus globale, qui intègre la terre cuite mais également la terre crue qui bâtir et qui nourrit.

L’idée, c’est de favoriser une filière du matériau terre, tout comme il existe une filière bois. Pour cela, il faut fédérer, mettre en lumière et inciter à travailler ce matériau. Le but est donc de porter l’attention sur tous les champs d’usage du travail de la terre.

Il y a des innovations incroyables à développer, viabiliser et pérenniser. Je mène notamment un travail de recherche afin de trouver des alternatives d’usage à l’émaillage pour des objets liés plus particulièrement aux arts de la table et à la cuisine. Afin de ne plus utiliser des matières naturelles toxiques, non locales et dont les modalités d’extraction ou d’approvisionnement, ce qu’on nomme les terres rares, posent question et soulèvent des enjeux écologiques.

Le projet Avenue du Roi s’ancre dans un cadre domestique, l’exposition prenant place dans un appartement. Comment as-tu abordé ce projet ?

J’ai conçu des pièces spécifiquement pour ce projet. Je n’ai quasiment pas de stock, donc ce sont à chaque fois de nouvelles créations qui naissent d’une rencontre, d’un projet… Avec Thomas Ghaye, nous avons surtout échangé en visioconférence de loin en raison du contexte de la pandémie. Sa demande portrait sur des objets conçus à mi-chemin entre le fonctionnel et l’artistique. J’ai donc imaginé une série de huit pièces, une variation autour du vase, du contenant. L’idée c’était de travailler avec trois terres différentes en laissant le matériau brut apparent, texturé et en lien avec un travail d’émaillage, de couleurs qui contrastent avec l’aspect très mat de la terre. C’est un travail volontairement pictural, sculptural, plus artistique, avec également la volonté que l’émail pellicule la terre comme une surépaisseur qui apporte des jeux de lumières et de reflets.

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Quelles pièces as-tu décidé de montrer à l’exposition Avenue du Roi ? Peux-tu les décrire ?

Certaines pièces sont véritablement des vases, d’autres uniquement sculpturales. Travaillant quasi uniquement en basse température et émaillant partiellement mes pièces, elles restent poreuses et ne peuvent donc recevoir de l’eau. Un vase qui joue sur son usage. La volonté était de décliner une série de registre de forme qui ait à la fois une intégrité, une identité propre et également une filiation entre elle, comme un air de famille. Cette collection est pensée comme un portrait de famille qu’on pose sur le rebord d’une cheminée. On y lit différents tempéraments, différentes personnalités mais un lien les connecte et soude une vraie unité. La collection s’appelle Énota, signifiant justement unité. Finalement, on en revient toujours à la dimension collective et plurielle.

Tu montres ton travail avec celui de Dorothée Louise Recker pour Avenue du Roi. As-tu élaboré un dialogue entre vos œuvres ?

On a eu un échange à propos de nos démarches respectives, nos modalités de travail et sur les gammes de couleurs que nous employons. Le but n’était pas de s’influencer mais davantage de souligner des correspondances, des ponts comme des « citations », comme des « mise en exergue ».

Comme l’usage d’émaux blancs ou d’émaux plus sombres qui produisent des couleurs métallisées. Ils renvoient à des textures simulant d’autres matériaux, rappelant les différentes matières conviées par Dorothée dans son travail. Ce duo, qui s’est construit au cours d’échanges à distance, peut être pensé comme une évocation épistolaire, nourrie de correspondances.

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Photographe : Louise Skadhauge

Texte : Thibaut Wauthion